dimanche 4 mars 2018

Abbaye de Valmagne


L'un des monuments les plus fascinants de l'Hérault est  l'Abbaye de Valmagne. Nous y avons déjà fait deux visites depuis notre installation à Lattes.


Située à 40 km de Lattes dans la direction de Béziers, on peut y accéder par l'autoroute A9 puis le RD2 jusqu'à Villeveyrac. Sur le GPS il faut programmer la route de Montagnac à Villeveyrac. En fait, chaque fois que nous l'avons visitée nous étions déjà dans le secteur pour d'autres raisons: soit nous venions de Balaruc-les-bains où je faisais cure thermale, soit nous venions de Cournonterral où se situe l'un des temples de l'Eglise Protestante Unie de Montpellier. La visite de l'abbaye de Valmagne est alors typiquement le point d'orgue d'une journée de sortie à l'Ouest de Montpellier.


Un petit truc quand on vient de la RD2 et qu'on arrive sur Villeveyrac: au lieu de prendre l'interminable déviation de Villeveyrac comme les panneaux nous y invitent, on peut traverser tout droit le village et on se retrouve directement sur la route de Montagnac (en fait la RD 5) à la sortie de Villeveyrac.


Le guide Vert Michelin n'accorde à ce site qu'une étoile, ce qui se traduit par la mention "intéressant". C'est sans doute d'abord par son histoire mouvementée que cette abbaye suscite l'intérêt.



L'abbaye a été fondée vers 1136 par Raymond Trencavel, un vicomte de Béziers et Agde, connu pour avoir bataillé contre le comté de Toulouse, avant de s'allier avec le comte de Toulouse pour résister aux prétentions du roi d'Aragon. Elle a été bâtie sur un domaine appelé Vallis Magna ou Villa Magna d'où le nom de Valmagne.  Elle a été rattachée à l'ordre de Cîteaux en 1159 et dès lors observera la règle morale, mais aussi architecturale qui avait été définie par St Bernard pour les abbayes cisterciennes. Elle s'est considérablement développée jusqu'au milieu du XIVème siècle où elle comptera plus de 300 moines.


Mais ensuite les vicissitudes n'ont guère cessé. La guerre de Cent ans a amené les pillages et la peste qui a décimé les moines. A partir de 1477, l'abbaye ruinée n'est plus dirigée par des abbés élus parmi les moines, mais par des "abbés commendataires", gestionnaires choisis par le roi en dehors de la communauté. Ceux-ci ne s'intéresseront pas vraiment à la vie religieuse de la communauté, qui se relâche alors. C'est à tel point que vers 1575, pendant les guerres de religion en Languedoc, l'abbé commendataire Vincent Concomblet de Saint-Séverin qui avait embrassé la religion réformée fait le siège de l'abbaye qu'il dirige en principe et provoque le massacre de ses moines et  d'importantes destructions.


L'un des moines tué lors de ce massacre est passé à la postérité pour ses compétences viticoles. C'était Nonenque, le moine cellérier de l'abbaye, qui a donné son nom à l'une des cuvées de vin toujours produites dans le domaine de l'abbaye: le Secret de Nonenque.


L'abbaye connut une relative accalmie à partir du début du XVIIème siècle, mais si l'on en croit le poème écrit par Jean-Jacques Lefranc de Pompignan lors d'une visite à Valmagne en 1740, ce n'est pas le rayonnement spirituel qui était son point fort:




Nos moines sont de bons vivants,
L'un pour l'autre fort indulgents,
Ne faisant rien qui les ennuie,
Ayant leur cave bien garnie,
Toujours reposés et contents,
Visitant peu la sacristie ;
Mais quelquefois les jours de pluie,
Priant Dieu pour tuer le temps.



Le coup de grâce fut donné à l'abbaye par la Révolution française. Il est vrai qu'il ne restait alors guère que trois à cinq moines. Elle fut vendue comme bien national et transformée en chai. D'énormes foudres à vin furent installés dans les chapelles latérales de l'abbatiale. On peut les voir encore actuellement, ce qui donne à l'église abbatiale un caractère tout à fait étrange, et on semble même percevoir une légère odeur de vinasse en visitant sa nef, bien que les foudres soient aujourd'hui inutilisés.


En 1838, l'abbaye et son domaine ont été rachetés par le comte de Turenne. Attention, il s'agit de Henri-Amédée-Mercure, comte de Turenne, marquis d'Aynac (1776-1852), et non de Henri de la Tour d'Auvergne (1611-1675) connu sous le nom de maréchal de Turenne. Le comte, qui a notamment été officier d'ordonnances et chambellan de Napoléon, développa l'exploitation viticole du domaine de 58 hectares. Ses descendants sont encore les propriétaires de l'abbaye, depuis maintenant 9 générations.  Outre la production viticole, ils s'attachent à la restauration du patrimoine et à son exploitation touristique.


En février 2018, la visite de l'abbaye avec un audioguide coûte 8.50 €. On achète les tickets dans la boutique de l'abbaye où sont vendus essentiellement des cartons de vin produits dans le domaine, et des livres. Des dégustations de vin sont aussi proposées.


On passe ensuite dans la cour d'honneur agrémentée d'un grand bassin pour admirer la façade de l'Eglise. Bâtie en style gothique en 1257 sur les fondations de l’église romane initiale, puis fortifiée pendant la guerre de cent ans, la façade principale est précédée d'un narthex, qui servait notamment à accueillir les catéchumènes non baptisés. On nous fait noter que ses chapiteaux sont décorés de sculptures, en contradiction avec la règle cistercienne.


Quand on entre dans l'église, on est frappé par ses dimensions qui s'apparentent à celles des cathédrales du nord de la France: 83 m de long et 23 m de haut. A titre de comparaison, la cathédrale Notre-Dame de Paris a une nef de 60 m prolongée par un chœur de 38 mètres.  L'autre élément frappant, déjà mentionné, est la présence de grands foudres de vin dans les 9 chapelles latérales.


Dans le cloître, reconstruit au XIVème siècle, nous admirons surtout le "lavabo", une grande fontaine placée sous une construction très élégante d'arcs en pierre. Elle est construite sur la source de Diane, une source déjà connue des Romains qui alimente l'abbaye en eau et se jette ensuite dans l'étang de Thau. L'audioguide nous apprend que seules deux abbayes cisterciennes en France ont gardé leur lavabo, mais ne précise pas quelle est la deuxième.


La vaste salle capitulaire sans aucun pilier vaut également une visite. On y trouve actuellement quelques panneaux explicatifs sur les abbayes cisterciennes en général et Valmagne en particulier.


A l'extérieur de l'abbaye, on visite un intéressant jardin médiéval, où des panneaux expliquent l'utilisation médicinale ou potagère des plantes cultivées par les moines de Valmagne.


La porterie voisine du jardin est une salle (destinée au portier comme son nom l'indique) où l'on peut voir aujourd'hui une exposition de matériel ancien ayant servi notamment à l'activité viticole.


Pour les déjeuners des dimanche hors saison, et toute la semaine sauf lundi en saison, la Ferme Auberge de Valmagne, appelée Ferme-Auberge du Frère Nonenque, propose une cuisine authentique et gourmande, où tout est fait maison, avec des produits venant de producteurs locaux sélectionnés ou même issus du potager bio de l'abbaye.

Le restaurant est conduit par Laurence d'Allaines, épouse de Philippe d'Allaines qui pour sa part dirige le domaine viticole. Lors de notre déjeuner récent nous avons découvert l'engagement de Mme d'Allaines qui est littéralement au four et au moulin dans son restaurant, s'occupant du service en salle, de la supervision de la cuisine et même de la gestion du potager.


La carte, qui varie selon les saisons, est assez limitée pour garantir des plats parfaitement maîtrisés et sincères. La carte des vins est également limitée aux vins produits dans le domaine, notamment des vins de l'appellation Grès de Montpellier, de l'AOP Languedoc ou de l'IGP Collines de la Moure. 
Mais cela ne limite pas les plaisirs de la table, dans un beau décor rustique. Nous avons par exemple été enchantés lors de notre déjeuner récent par un savoureux et tendre  filet de veau provenant d'un producteur local et d'une bouteille de la cuvée Comte de Turenne du Grès de Montpellier. Il faut compter autour de 30 € pour une formule entrée/plat/dessert.