En ce mois d'août 2016, nous avons appris à connaître l'une des traditions locales de notre nouvelle région: la course camarguaise. C'est l'un des événements obligatoires dans toute fête votive du Gard, de l'Hérault, d'une partie des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse. En la matière Lattes n'est pas en reste, puisque les fêtes s'y sont déroulées en fait sur 5 jours, avec chaque jour des courses camarguaises à 16 heures dans les arènes, juste à côté de notre villa.
La course camarguaise est un sport qui se déroule dans une arène, où des hommes habillés de blancs, les raseteurs, essaient d'attraper des attributs attachés aux cornes de taureaux (bien sûr noirs). Les raseteurs ont en main un crochet à quatre dents qui leur sert à couper et attraper ces attributs: une cocarde, deux glands (en fait des pompons) et deux ficelles. Ils peuvent être aidés par des tourneurs, qui n'ont pas de crochet et dont le rôle est de détourner l'attention du taureau. On reconnaît les tourneurs au fait que leur nom est écrit en rouge sur leur maillot, alors que les raseteurs ont leur nom marqué en noir.
Contrairement à la corrida, la course camarguaise est non violente et ne tue pas le taureau. On essaie d'ailleurs de ne pas non plus le blesser, et si parfois le sang coule un peu dans ces courses, c'est parce que le taureau s'est blessé lui-même en sautant trop violemment par-dessus les barrières, en chargeant les raseteurs. Les crochets eux-mêmes peuvent égratigner le taureau, mais c'est bénin car il a le cuir épais.
Les taureaux sont d'ailleurs les vrais héros des courses camarguaises. Ils peuvent recevoir des prix s'ils arrivent à rentrer au bout du temps imparti (en principe 15 minutes) au toril en ayant gardé certains de leurs attributs, et les plus vaillants deviennent des stars qui auront leur nom en tête d'affiche pour les prochaines courses. Certains taureaux emblématiques ont même leur statue dans les villages où ils ont vécu.
Il faut cependant ici rétablir une vérité: les taureaux qui participent aux courses camarguaises, et qu'on appelle des taureaux cocardiers car ils portent la cocarde, ne sont en général pas des taureaux. Ils ont été castrés à l'âge de un an, et ce sont donc en réalité des bœufs. Rien à voir cependant avec les bœufs de labour. Ils restent noirs, vifs et assez agressifs comme des taureaux. Par exception, certaines courses se font avec des étalons. C'est en général des taureaux jeunes qui n'ont pas encore couru et dont on teste l'aptitude à participer aux courses camarguaises. Nous en avons vu à Mauguio, et cela donne une course assez particulière: les taureaux inexpérimentés ont souvent perdu rapidement tous leurs attributs (pas de mauvais esprit svp) , et le plus dur pour les raseteurs et les manadiers était alors de les faire rentrer au toril. En général, il fallait faire venir un autre taureau habitué à rentrer qui lui donnait l'exemple, et quand ce deuxième taureau n'a pas voulu rentrer non plus, un troisième est arrivé à la rescousse pour former troupeau et rentrer ensemble.
Pour être complet sur le chapitre des taureaux de Camargue, signalons qu'une manade de taureaux et de chevaux est implantée sur la commune de Lattes. C'est la manade Robert Michel qui se trouve au domaine de Fangouse, et dont on voit très bien les taureaux et chevaux paître lorsqu'on circule en vélo sur la route de Pérols. Son site internet me laisse cependant une légère perplexité, puisque sur le même site il explique que la vocation des taureaux est de perpétrer (sic) la tradition Camargue, et aussi qu'il vend de la viande de taureau sous forme de colis de 5 ou 10 kg pour faire du rumsteack ou de la gardianne.
Il faut savoir que la viande des taureaux de Camargue est très appréciée, et bénéficie d'ailleurs d'une Appellation d'Origine Protégée.
Pour ce qui est des raseteurs, après une formation à l'école des raseteurs durant deux ans et une sélection qui semble rigoureuse, ils participent à des trophées, comme le trophée de l'Avenir pour les moins de 25 ans, le trophée des Raseteurs pour les raseteurs plus confirmés, ou le trophée des As pour les champions. A Lattes cet été, les courses camarguaises comptaient pour un trophée Paul Andrieu. On peut noter que les raseteurs sont toujours classés entre droitiers et gauchers et qu'une course bien organisée semble essayer de trouver un équilibre entre ces deux catégories.
La course camarguaise est en principe organisée par un club taurin. A Lattes sont recensés deux clubs taurins: Le Club taurin Lou Méjan-Labomace et le club taurin Lou Tau. C'est ce dernier qui a organisé toutes les manifestations taurines des fêtes de Lattes en ce mois d'août 2016. Les organisateurs paient la prestation des taureaux fournis par des manades, souvent six manades différentes procurent chacune un taureau pour une même course. Les organisateurs offrent aussi une petite prime aux raseteurs pour chaque attribut attrapé. Mais cette prime augmente au fur et à mesure que la course se déroule grâce à des sponsors qui ajoutent chaque fois deux euros. La course est ainsi rythmée par les interventions toutes les 30 secondes du directeur de la course qui annonce que la blanchisserie machin offre deux euros de plus ( deu-z-euros de plu-euh, avé l'assent), ou que le conseiller général du canton porte la prime à 40 euros ( quand elle était auparavant à 38). Habituellement le club taurin se rémunère en faisant payer l'entrée. Nous avons ainsi assisté à des courses camarguaises dans les Arènes de Mauguio où l'entrée coûtait huit euros. Mais remarquablement à Lattes, les 5 courses de la semaine passée étaient toutes gratuites. C'est sans doute la municipalité qui a pris en charge l'essentiel des frais, comme elle nous a offert l'apéritif ce dimanche midi.
Les courses camarguaises sont régies par une fédération française des courses camarguaises. Même si ce sport ne concerne que 4 départements, c'est une fédération nationale. Après tout, la pétanque a aussi sa fédération nationale. Elle édite une réglementation abondante et détaillée qui comprend par exemple même un chapitre sur les contrôles anti-dopage. Il ne dit pas si c'est les raseteurs ou les taureaux qui y sont soumis. Notons quand même une fois de plus que cette Fédération a connu début 2016 une grave crise qui la menaçait tout simplement de disparition: Selon France Bleu, après des années de mauvaise gestion, la Fédération connaissait un déficit de plus de 130.000 € et a déposé son bilan, ce qui aurait pu être fatal à tout ce sport. Une nouvelle équipe a cependant repris les rênes de la fédération au printemps dernier.
Plutôt que d'étudier toute les vicissitudes de la fédération et les arcanes de sa règlementation, ce qu'il est intéressant de connaître pour l'aficionado c'est tout le cérémonial qui entoure les courses.
Les courses commencent par une présentation des raseteurs et un salut à la présidence sur l'air d'ouverture de Carmen. Ensuite un taureau est introduit dans l'arène vide sur un air de fanfare appelé L'èr di biòu, une sorte d'appel de clairon pour le rassemblement. Le taureau reste une minute seul sur la piste pour y prendre ses repères, puis le même air retentit à nouveau pour lancer la course avec l'arrivée des raseteurs. Chaque prise d'attribut est saluée par un air de fanfare, et elle retentit à nouveau au bout de 15 minutes pour marquer la fin du "raset".
A la fin de toutes les courses, ou éventuellement des remises de prix aussi bien aux raseteurs qu'aux taureaux, se déroule le Bandido, qui est l'inverse de l'Abrigado, c'est-à-dire les taureaux repartent de l'arène encadrés par des gardians à cheval. En l'occurrence, des camions étaient stationnés devant notre porte, et les taureaux y rentraient après avoir fait un parcours dans la ville de Lattes.
Lors des fêtes de Lattes, qui comportaient de nombreuses autres animations y compris une messe en provençal ou un défilé en costumes anciens, chaque événement et donc aussi les courses camarguaises ont été conclues par l'hymne provençal La Coupo Sancto, repris par toute l'assemblée.